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Le suicide programmé des Lemmings
Philippe Gautier
J'ai lu, récemment, un dossier présentant une compétition entre des projets d’entreprises. Ce dossier servait à identifier les candidats en lice et la nature de leur projet pour alimenter des votes.
Les lauréats, une fois élus par leurs pairs, devaient être récompensés et ainsi assurés de voir leur projet amplement commenté, présenté, promu, etc.
Cette lecture fut passionnante, pas tant sur le contenu (certes intéressant) mais dans la forme.
En effet, ce qui m’a sauté aux yeux est, je crois, significatif de notre époque et de ses aléas…
La majorité des projets étaient présentés en tandem, toujours selon la même structure : un utilisateur final et un cabinet de conseil ou un intégrateur qui l’aidait dans la réalisation.
Dans les dossiers présentés, l’utilisateur final avait « avec succès » mis en œuvre la solution que lui proposait le cabinet ou l’intégrateur. Ainsi, le résultat s’inspirait largement des méthodes et des bonnes pratiques préconisées par l’offreur de solution.
Or, comment fonctionne le modèle économique de la plupart des intégrateurs et des cabinets de conseil ?
Le « sur-mesure », qui prend en compte de façon exhaustive les spécificités du client, est souvent impossible à vendre (trop cher) et ne correspond plus aux budgets des entreprises utilisatrices qui ne l’utilisent que dès lors qu’elles traitent le projet en interne, avec les opérationnels concernés (les seuls à bien connaitre leur « business » par sa pratique quotidienne).
Désormais, pour des raisons identiques de coûts, les entreprises utilisatrices préfèrent acheter à l’extérieur ce qui apparait de prime abord comme moins cher pour un même résultat (passons sur le transfert effectif des coûts sur les cabinets juridiques et autres intermédiaires).
En face, pour rester compétitifs, les intégrateurs et cabinets de conseil doivent donc proposer des solutions standardisées à leurs clients selon des approches inspirées du principe « one size fits all ».
Comment :
Sur la base de leur expérience passée (premier client, premier succès), ils capitalisent pour ensuite industrialiser une solution ou une approche, qu’ils « packagent » ou standardisent et qu’ils revendent, moyennant des adaptations spécifiques, à d’autres clients.
Ainsi, ce « copier-coller » permet-il de proposer des offres compétitives (le premier client ayant amorti l’essentiel du développement de la solution) et de développer ses ventes sur la base d’un premier retour d’expérience standardisé ensuite.
Il est donc rare que les particularismes des clients suivants y soient pleinement intégrés et ces derniers doivent en conséquence adapter leurs processus à des approches génériques inspirées du « best of breed » de leur profession.
Les nombreux référentiels métiers qui font actuellement florès en sont une des meilleures illustrations (je ne citerai pas de noms pour ne blesser personne), tout comme bon nombre de projets ERP / PGI.
Dans la plupart des cas, externaliser signifie donc souvent appliquer ce qui est considéré - par les « experts » - comme faisant partie des « best practices » de la profession…. L’uniformité, comme critère d’économie, y est aussi vendue comme « avantage compétitif » !...
Les questions légitimes que posent ces démarches sont :
- « où sont l’originalité et l’avantage compétitif ou concurrentiel » pour le client ?
- « en quoi son organisation va-t-elle se distinguer d’une organisation concurrente, tant dans la conduite de ses processus que dans l’obtention de résultats sur un même marché » ?
- etc.
Ne gagne-t-on pas les guerres dans les situations asymétriques ? Tous les stratèges vous le diront.
Ainsi, en sous-traitant la refonte ou la gestion de ses propres processus chez un tiers dont les buts ne sont pas nécessairement en convergence avec les siens, l’entreprise prend le risque de l’uniformité et du conformisme et grève son avenir pour aménager le présent (pseudo-économies).
Rappelons-nous qu’en biologie, la différence de métabolisme permet d’éviter les phénomènes épidémiques et procure une meilleure défense collective contre les attaques virales ou bactériennes.
Un organisme sera d’autant mieux armé qu’il présentera des particularismes intrinsèques et donc un comportement propre vis-à-vis des situations qu’il partagera avec d’autres organismes.
Ce « Prêt-à-penser » moderne, consommé en grandes quantités par nos entreprises contemporaines, est, je crois, à la base de bien des problèmes économiques actuels (un grand équipementier Français pourrait être considéré comme étant le parangon de cette tendance).
Nous ne sortirons du cycle de crises qu’en permettant à nos managers de se réapproprier l’entreprise, en leur donnant l’envie de gérer leur activité de façon spécifique et en laissant libre cours à l’innovation.
En l’espèce, l’analyse décisionnelle (voir aussi www.b-adsc.com <http://www.b-adsc.com>) est un formidable levier pour y parvenir, pour peu que l’entreprise sache ré internaliser son savoir-faire et capitaliser sur son propre retour d’expérience, sans tomber dans l’illusion éphémère des poncifs proposés par les vendeurs d’uniformité.
Paris, le 11.11.2009
Je ne peux que souscrire au contenu de ce billet !
Comment peut-on effectivement se « différencier » si on utilise les mêmes outils que les « autres » pour notre business ? Pire, comment pourrait-on vanter l'originalité, la qualité, des ses produits, de ses services voire de son « savoir faire » si l'on applique les mêmes méthodes et mêmes recettes que nos concurrents ?
Et quand bien même nos cadres auraient de bonnes idées quant au remaniement de tel ou tel process, ces dernières seraient bien vite anéanties par les coûts de refonte ou de modification de l'ERP ou PGI préférés de nos « chères » organisations. Quant à la ré-internalisation....pour plus d'un il s'agit désormais d'une utopie voire d'un « gros » mot...!
Hélas, ils n'ont rien compris et ont laissé place nette aux dinosaures des services intégrés et sous-traités et au fait que la « business intelligence » est désormais confiée à de simples ERP et autres vendeurs de « nuages »...
Alors quand tout le monde vendra le même « cola » (oui vous savez la boisson...), on ne parlera même plus de goût mais uniquement du prix ! Personnellement je n'adhère pas à ce monde-là !
Réveillez-vous ! Osez la ré-internalisation, jetez vos « modèles » qui ne sont de toutes façons plus les vôtres depuis longtemps et osez la différence ! Oui, on peut changer radicalement le bien fondé de nos systèmes d'information en apportant une vraie valeur ajoutée à nos métiers et à nos utilisateurs...
Fabrice NOEL, le 12.11.2009
C'est qu'il plus facile d'avoir tort avec tout le monde que raison tout seul. D'où l'existence des Lemmings...
Paul JAILLARD, le 12.11.2009
pageweb : <http://lautrejour.over-blog.com/article-25934756.html>
La critique de ce billet porte plus à mon sens sur les cabinets qui conseillent les entreprises que sur les systèmes proposés par les offreurs de solutions. Dans tous les projets de réorganisations il y a trois composants qui jouent un rôle inégal dans le succès : Les personnes de l'entreprise et leur bonne formation, les nouveau processus mis en place, et le système d'information qui sous-tend les nouvelles manières de travailler. L'importance du système d'information est moindre que celle des personnes, bien formées et motivées, et des nouveau processus.
En d'autres termes, bien définir comment on travaille et bien l'exécuter est l'essentiel et peut fait la différence. Avec les mêmes ingrédients, les mêmes outils, un bon cuisinier fera des mets excellents qui feront sa réputation alors qu'un concurrent végétera à faire des mets médiocres.
François FERRY, le 12.11.2009
Bravo ! excellente cette observation ! dommage que peu de monde soit en mesure de raisonner de cette façon, ou n'ose pas le faire, ce qui fait aussi partie intégrante du problème du suicide collectif des lemmings.
Alain FAYET, le 12.11.2009
Excellent !
Je vais vous citer.
Voir de mon côté :
<http://plexus-logos-calx.blogspot.com/2009/10/a0018-theoreme-des-15-minutes-maximum.html>
C'est assez lié à votre point de vue.
Jean ROHMER, le 14.11.2009
J'ai lu, récemment, un dossier présentant une compétition entre des projets d’entreprises. Ce dossier servait à identifier les candidats en lice et la nature de leur projet pour alimenter des votes.
Les lauréats, une fois élus par leurs pairs, devaient être récompensés et ainsi assurés de voir leur projet amplement commenté, présenté, promu, etc.